La gouvernance est un facteur clé dans l’achat d’énergie.

 

Selon Thérèse Sliva-Marion, consultante et formatrice en réglementation et achats d’énergie chez Alambre Energie, la bonne gestion de cette catégorie d’achat ne dépend pas que de l’acheteur.

 

EUROP’ENERGIES : Quelles sont vos activités aujourd’hui ?

Thérèse Sliva-Marion : Je mène en parallèle des activités de formation et de conseil en achats d’énergie et réglementation énergétique. Je suis consultante en charge des questions gaz au sein du Cleee. Mon rôle est de défendre les intérêts des adhérents auprès des pouvoirs publics et d’expliquer aux membres de l’association les évolutions réglementaires en cours ou à venir. Nous participons aux consultations de la Cre et nous remontons aux pouvoirs publics les difficultés rencontrées sur le terrain. Le Cleee est reconnu et nous sommes écoutés sur de nombreux points. Je poursuis également une activité de formation auprès de personnes en charge de l’achat d’énergie — acheteurs, directeurs techniques ou directeurs généraux principalement. Mes formations sont organisées au sein d’une même entreprise ou réunissent des personnes travaillant dans différentes sociétés. Je propose des formations sur les fondamentaux de l’achat du gaz, de l’électricité et la gestion du risque-prix. J’interviens également sur les achats internationaux, les questions réglementaires et leurs applications, la place de l’énergie dans la gouvernance d’entreprise. J’exerce enfin une activité de conseil en achats d’énergie. J’accompagne les entreprises dans la mise en place et l’optimisation de leur stratégie énergétique.

 

EE : Quelle est votre formation et quel a été votre parcours professionnel ?

  1. S.-M. : Je suis diplômée de l’ISARA, une école lyonnaise d’ingénieurs agroalimentaires et de l’EIPM (European Institute for Purchasing Management) à Archamps où j’ai obtenu un MBA. Dans ma vie professionnelle, j’ai essentiellement travaillé dans l’achat et plus particulièrement dans l’achat d’énergie, aussi bien dans des PME que dans des grands groupes.

 

EE : Vous êtes très impliquée dans des réseaux professionnels. Qu’est-ce que cela vous apporte ?

  1. S.-M. : Outre le Cleee, je participe aux activités du CNA (Conseil national des achats), premier réseau d’acheteurs de France, dont je suis un membre actif. Je suis en lien avec l’EIPM, afin de rester en prise avec les évolutions du secteur et du métier des achats. J’y interviens ponctuellement. Ces réseaux du monde des achats, qui est le mien, me permettent de bien comprendre les besoins et les problématiques auxquels sont confrontés les acheteurs d’aujourd’hui.

 

EE : Selon vous, quelles sont les qualités d’un bon acheteur d’énergie ?

T.S.-M. : Il est important de connaître son métier, savoir communiquer en interne et s’appuyer sur un réseau efficace. L’achat d’énergie ne s’improvise pas. Dans des entreprises de transformation, l’énergie est souvent le deuxième poste de coûts après les matières premières. L’acheteur doit se former non seulement avant sa prise de poste, mais aussi régulièrement en fonction de l’évolution de la réglementation ou s’appuyer sur une expertise extérieure s’il ne peut y consacrer le temps requis. Ensuite, l’acheteur aura souvent autant à expliquer et à convaincre en interne qu’à gérer son achat d’énergie. Idéalement, l’acheteur d’énergie devrait être positionné au bon endroit dans l’organigramme de l’entreprise et pouvoir prendre des décisions rapidement. Bref, la technicité de l’achat d’énergie est très importante, mais elle n’est pas suffisante. La gouvernance et la définition d’une stratégie d’achat claire sont clés. Sans cela, même un acheteur très compétent ne pourra pas réaliser de bons achats. Enfin, l’acheteur a toujours intérêt à être en lien avec des réseaux spécifiques. L’échange avec des pairs au sein d’associations telles que le Cleee lui permet d’améliorer ses pratiques, de trouver des réponses à ses questions et d’être au fait des dernières évolutions réglementaires. C’est un point déterminant pour améliorer la performance de l’achat d’énergie

 

EE : Quel serait le bon positionnement des achats d’énergie dans l’organigramme d’une entreprise ?

  1. S.-M. : Etant donné la volatilité des cours sur les marchés du gaz naturel et de l’électricité, il est important que l’acheteur soit proche du circuit décisionnel. Il doit avoir la flexibilité nécessaire pour prendre des positions rapidement avec l’aval de la direction financière et de la direction générale. Pour ce qui est de la stratégie et, d’une manière schématique, deux approches sont possibles, exclusives l’une de l’autre : une approche budgétaire ou une approche marché. Dans la première, l’entreprise souhaite connaître précisément son prix d’achat d’énergie au moment de l’élaboration du budget. Dans la seconde, l’entreprise souhaite être en phase avec le prix du marché et, pour ce faire, accepte de ne pas avoir en amont une vision précise de son prix. Il n’est pas possible d’avoir à la fois une visibilité parfaite sur le budget en amont et le meilleur prix du marché du moment. Ce que j’observe chez mes clients — si la stratégie n’a pas été déterminée et partagée — c’est que l’acheteur peut se trouver ponctuellement en porte-à-faux avec une demande de visibilité budgétaire en amont et une exigence d’obtention du meilleur prix à l’instant « T » en cours d’exercice.

 

EE : L’achat d’énergie n’a pas toujours été confié à la direction Achats. Qu’en est-il aujourd’hui et comment s’articulent les différentes dimensions de la problématique énergie dans l’entreprise ?

T.S-M : Aujourd’hui, de nombreux cas de figures co-existent. Ainsi, nous rencontrons encore des directions techniques en charge de ces achats, des directions achats chapeautant à temps complet ou partagé des acheteurs d’énergie, des structures dédiées et des responsabilités partagées avec les directions financières pour ce qui est de la fixation de positions d’achat. La mise en place d’une structure dédiée ne se justifie que si le chiffre d’affaires  achats d’énergie est substantiel. Globalement, ces directions financières sont de plus en plus souvent impliquées dans la boucle de décision. Par ailleurs, nous observons souvent un éclatement de la gestion de l’énergie au sein des entreprises, un héritage du passé sans doute. Par exemple, la gestion des effacements est souvent confiée à l’équipe technique ou encore  la direction RSE prend des décisions en matière d’installations de production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables sans que l’acheteur ne soit directement décisionnaire. Tout cela nécessiterait idéalement une réflexion d’ensemble, que la majorité des entreprises n’a pas encore développée. L’organisation idéale doit s’adapter à la rapidité des évolutions réglementaires, la volatilité grandissante des cours et la complexification de la structure du prix de l’énergie. Elle doit être agile et performante.

 

EE : Quelles autres évolutions récentes du métier avez-vous identifiées ?

T.S-M : J’en vois plusieurs. La première est que le besoin de mesure et de reporting est devenu de plus en plus important. Etant donné les masses d’informations nécessaires propres à cette famille d’achat, l’automatisation des procédures devient une nécessité. Au Cleee, nous avons organisé plusieurs réunions ces derniers mois et commençons à réfléchir à  la manière d’élaborer des tableaux de bords pertinents incluant la mesure de la performance achat. La deuxième est la sensibilité grandissante des entreprises aux économies d’énergie, en lien avec le renchérissement des prix. Les demandes portent essentiellement sur les problématiques liées à l’effacement en électricité, l’interruptibilité en gaz et les certificats d’économie d’énergie (CEE). Une troisième évolution est que les acheteurs réfléchissent à l’intégration dans leur portefeuille achats d’énergies renouvelables via des garanties d’origine, de l’autoconsommation ou des PPA. Certains membres du Cleee ont ainsi partagé récemment leurs expériences dans la mise en place de PPA.

 

Rubrique : interview – Source : Europ’ Energies Septembre 2020

 

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